SADE PAR MAN RAY

L COMME LITTERATURE : SADE (MON "SADE")...

 

 "Qu'ils sont délicieux les plaisirs de l'imagination! Toute la 
terre est à nous. Pas une seule créature ne nous résiste… »
                   DAF DE SADE
Et arrive Sade, lu à 17 ans…

Ecrire sur lui est d’avance une inutile gageure… Tant d’autres l’ont fait, si bien, si mal.

Ne pas le faire serait un peu lâche. Alors, je m’y risque, consciente de ne rien apporter.

Ce soir, ce n’est pas Sade mais « mon » Sade que vous trouverez ici, à vos risques et périls, si vous êtes un puriste de Donatien-Alphonse-François….

 

Ma « rencontre » avec le Marquis n’a rien à voir avec la découverte de mes « caractères sexuels tertiaires » !!

 

A dix-sept ans, dans une manifestation contre l’alors Ministre de l’Intérieur Poniatowski ( qui se souvient encore de celui-ci ?), entre deux banderoles uniformes de l’UNEF, la lycéenne que j’étais repéra un drap porté par un trentenaire avec les seuls mots : « Sade, j’écris ton nom : Liberté ! »

 

Parce que j’aimais Eluard, j’ai couru acheter Sade….

 

Parce que j’étais une « littéraire », je ne l’ai pas loupé. Parce que Sade, c’est une histoire d’écriture. Et d’écriture seulement. Surtout pas de SM !

 

Que le bon Krafft-Ebbing ait créé plus tard les mots de « sadisme » et de « sadique », plus tous ceux qui en dérivent, est donc une hérésie.

 

Il nous vient souvent à sourire M. et moi, lorsque nous imaginons un Sade revenu d’outre-tombe qui passerait une soirée dans un club SM ou chez des adeptes du BDSM.

Et bien, le Marquis porterait plainte pour diffamation !

 

Non, Sade n ‘est pas notre père à tous et c’est pour cela qu’il est si peu apprécié, si peu compris, si peu lu tout simplement dans « notre milieu ».

J’en connais qui en ont la migraine , d’autres plus « in » qui trouvent ça très surfait ( je les mets au défi de m’en citer une seule phrase).

Oh ! J’en connais aussi qui le mettent commercialement à toutes les sauces et pour lesquels quelques citations de lui servent de produit d’appel pour leur joyeux et lucratif petit commerce … Je les soupçonne, ceux-là, pour avoir pu un soir tester leur niveau de discussion, d’avoir trouvé leurs exergues sur Internet, mais bon….

 

Donc, pour Sade, le seul adjectif que j’accepte est « sadien » c’est à dire propre à l’œuvre de Sade. Une œuvre littéraire. Me croirez-vous ? Lorsque j’ai lu Sade, je n’ai naïvement pas fait de rapprochement entre les deux textes précédemment lus en mon adolescence et cités ici les soirs précédents… Je n’ai vu que l’écriture… Une écriture luxurieuse, luxuriante, libertine, libertaire…. Un Laclos en bien mieux….

 

Sade, c’est quoi ? Des passages entiers d’actions sexuelles délirantes où les corps sont entassés en multitude, en foultitude, pour mieux être fouettés d’un seul coup d’instrument, des pyramides et des pyramides de chair qui n’est là que pour servir de prétexte à un style flamboyant qui me laisse aujourd’hui encore interloquée de par sa puissance… Des pages et des pages, des milliers de pages ainsi écrites,(une multitude, une foultitude !) entrecoupées de passages philosophiques dans le plus pur style du 18ème ou mieux encore dans le style le plus pur du 18ème.

Ecrivain et plus qu’écrivain, engagé et plus qu’engagé, contre toutes les formes d’autoritarisme et de fanatisme religieux de son époque… Noble révolutionnaire victime aussi de la Révolution, puis bonapartiste victime du bonapartisme, Sade aura passé plus de la moitié de sa vie en prison ou à l’asile…

 

Qu’eut-on à lui reprocher sinon une attitude « politically incorrect » vis à vis de tous les régimes qu’il a traversés, et bien des démêlés personnels avec sa belle-mère ?

 

Le « sadisme » de Sade ne s’étant autrement manifesté dans sa vie d’homme qu’avec quelques prostituées qu’il paya pour « déshonorer » un crucifix, les fouetter et se faire fouetter par elles avec … un balai de bruyère !

Il convainquit l’une d’elles aussi des vertus aphrodisiaques d’un produit qui se révéla être des bonbons à l’anis de l’Abbaye de Flavigny… Celle-ci porta plainte ou on lui fit porter plainte pour empoisonnement. Il en fouetta une autre longuement pour expérimenter sur son dos les effets d’un onguent de sa fabrication.

Voici donc tous les crimes, tous les méfaits « sadiques » in vivo du Divin Marquis….

 

Plus bien sûr ses œuvres, censurées sous prétexte d’ «  atteinte aux bonnes mœurs » que le système politique ait été la Royauté, la Révolution Française ou les balbutiements Impériaux.

Plus ses quelques textes pamphlétaires contre le pouvoir ( on ne dira jamais assez combien le pamphlet fait peur, pour en avoir commis un, à dix mille lieues du talent de Sade et me l’être fait retirer des « ondes », je sais combien que ce type d’écrit est plus incisif que toute fiction, que toute « adresse » réaliste… )

 

L’œuvre de Sade est un plaisir, giboyeux de ligne en ligne, de page en page…

Gibier de mots et quels mots, subversifs dès le premier, gibier de corps qui, loin d’effrayer prêterait parfois à sourire –mais d’un sourire jubilatoire-tant les corps martyrisés revivent et se redressent instantanément, tels à notre époque les « Grosminet » assommés dans les dessins animés qui, tombés d’un cent vingt cinquième étage, se relèvent et remontent à l’assaut de Titi !!!!

 

« Muni d’un flacon d’essence, il m’en frotte à plusieurs reprises. Les traces de mes bourreaux s ‘évanouissent. »

 

       DAF DE SADE  – « Justine ou les malheurs de la vertu » -

 

Et Lacan peut ainsi s’étonner et sourire de « la peu croyable survie dont Sade dote les victimes des sévices et tribulations qu’il leur inflige en sa fable. ».

 

Fable, le mot est dit. Ou plutôt pour moi, litanies, à deux pas du délire exigeant, je l’ai dit plus haut.

Oui, tout chez Sade est outrancier, monstrueux, cruel à l’extrême. Presque trop pour qu’il s’agisse d’autre chose que de métaphore…. C’est pour cela que Sade, de part un trop de virtuosité , peut-être, peut paraître ennuyeux… Sade n’écrit pas pour donner libre court au fantasme de son lecteur (d’ailleurs souhaite-t-il « vraiment » un lecteur ?) puisque le fantasme est déjà tout entier contenu dans son texte sans nulle échappatoire, sans porte de sortie.

Pour être triviale, ce n’est certes pas Sade que l’on peut lire «  d’une main »…

Les  fantasmes, mis en mots ici, ferment toute issue vers les nôtres : nous ne pouvons pas « imaginer »    plus, « imaginer »  au-delà puisque la profondeur de l’inimaginable est déjà atteinte. Sade fait de l’érotisme une machine de production , une industrie. Rien de très émoustillant là-dedans.

Ne reste qu’à se laisser emporter, au comble de l’étonnement,  par ces milliers de pages où l’outrance le dispute sans cesse à la philosophie et comprendre tout à coup enfin que cet érotisme, cette pornographie, au sens ancien du terme, n’est qu’affaire de mots, affaire d’écriture.

 

L’instrument qui torture n’est autre que la plume, fouet d’une nouvelle facture, tandis que les épidermes suppliciés ne sont que des pages où l’esprit s’appuie  comme sur un écritoire.

Blancheur des corps et page vierge. Les lanières qui vont l’ensanglanter ne sont que de l’encre rouge somme toute et l’oeuvre sadienne une « lettre écarlate » sans fin….

 

Tout donc sauf de la littérature SM . De la littérature tout bonnement. Qui plaît ou ne plaît pas….

 

Deleuze l’a  bien dit : « Un vrai sadique serait affolé par un masochiste et vice-versa. »

Il ne s’agit pas ici donc de belles histoires consensuelles ; chez Sade , il est toujours question de pouvoir et de sa métaphore la plus visible : l’expression et donc, comme il est logique en son temps, l’écriture.

Ici, il n’y a pas de « sujet », sinon celui du texte. Tous les « personnages » qui traversent les méandres de l’œuvre de Sade n’ont pas de consistance psychologique ou charnelle : objets, tant les persécuteurs que les persécutés, ils ne sont que prétexte à la foudre et au déluge des mots qui s’ensuit… Pas de sujet, je le dis bien : des objets. Les objets-victimes de Sade ne nous arrachent aucun pleur, ils ne sont que parchemin, papyrus, feuille, où le fouetteur, ou le « monstre » , objet-bourreau vient écrire sa parabole.

 

Et au-delà de tout, lire Sade, trois siècles plus tard et s’apercevoir qu’il n’a pas perdu une once de sa provocation visionnaire…

N’oublions pas que l’infiniment regretté Pasolini nous laissa comme testament une œuvre crépusculaire : « Salo ou les 120 jours de Sodome » très librement adaptée des «  120 journées de Sodome » de Sade où il établissait une parfaire équation entre les « monstres froids » sadiens et les hiérarques du régime fasciste italien dans ses dernières heures de pouvoir.

Ce film est autrement insupportable parce qu’il « montre » ( privilège du cinéma) par rapport à ce que l’œuvre de Sade laisse à imaginer (le lecteur restant libre d’appliquer ses filtres et de ne pas se projeter ce qu’il ne pourrait supporter (privilège du texte)….

 

Subversif donc, de cette subversion que l’on paye très, très cher et nul doute que Sade paya pour sa plume-fouet et ses pages-peau le prix le plus élevé qui soit en son temps.

 

Que m’a apporté Sade dans mon parcours BDSM ? Rien, assurément rien, tant il n’est pas de « chez nous », tant aucun d’entre nous ne peut se dire de « chez lui »…

Mais il m’aura donné, à 17 ans comme aujourd’hui encore, un plaisir infini et permanent, un de mes plus grands bonheurs de « liseuse »….

 

Parmi tous les heureux spécialistes, biographes, commentateurs de Sade, celui que je préfère est l’un des plus récents : Jean-Paul Brighelli.

Je souhaite donc lui laisser le dernier mot de cette note :

 

«  Singulière obsession : le sadique, ou présumé comme tel par les lecteurs prévenus du 18ème siècle, au lieu de se repaître des marques infligés à ses victimes, n’a d’autre souci que de les effacer, afin de les reproduire, et de recommencer. » 

 

          Jean-Paul Brighelli - « Justine ou le rapport textuel »

 

Obsession, dites-vous ? Mais ne parle-t-on pas de l’obsession de la page blanche pour l’ écrivain ? 

 

PS : Et pour sacrifier au « petit rituel du soir », une page de Sade, pas l’une des « sauvages » mais l’une des « philosophiques » et surtout l’une de mes préférées parce que définition du « vrai » libertinage  : la première page de « la Philosophie dans Le Boudoir » .

 

 

Aux Libertins


    Voluptueux de tous les âges et de tous les sexes, c'est à vous seuls que j'offre cet ouvrage: nourrissez-vous de ses principes, ils favorisent vos passions, et ces passions, dont de froids et plats moralistes vous effraient, ne sont que les moyens que la nature emploie pour faire parvenir l'homme aux vues qu'elles a sur lui; n'écoutez que ces passions délicieuses; leur organe est le seul qui doive vous conduire au bonheur.
    Femmes lubriques, que la voluptueuse Saint-Ange soit votre modèle; méprisez, à son exemple, tout ce qui contrarie les lois divines du plaisir qui l'enchaînèrent toute sa vie.
    Jeunes filles trop longtemps contenues dans les liens absurdes et dangereux d'une vertu fantastique et d'une religion dégoûtante, imitez l'ardente Eugénie; détruisez, foulez aux pieds, avec autant de rapidité qu'elle, tous les préceptes ridicules inculqués par d'imbéciles parents.
    Et vous, aimables débauchés, vous qui, depuis votre jeunesse, n'avez plus d'autres freins que vos désirs et d'autres lois que vos caprices, que le cynique Dolmancé vous serve d'exemple; allez aussi loin que lui, si ,comme lui, vous voulez parcourir toutes les routes de fleurs que la lubricité vous prépare; convainquez-vous à son école que ce n'est qu'en étendant la sphère de vos goûts et de ses fantaisies, que ce n'est qu'en sacrifiant tout à la volupté, que le malheureux individu connu sous le nom d'homme, et jeté malgré lui sur ce triste univers, peut réussir à semer quelques roses sur les épines de la vie.

                     DAF DE SADE - LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR -