Livres de chevet (2): « Monsieur Le Commandant » - Romain Slocombe - 2011 - Nil Editions - Collection « Les Affranchis » et 2013 - Pocket No 15468.
Ceci est du reblogging dû au grand bug de KarmaOS en 2014. Il y aurait 53 notes à reproduire pour que mon « AURORAWEBLOG » apparaisse ici dans son intégralité. Faute de temps, je n’en passe que quelques-unes, les plus intimes. Ce blog racontera ainsi un amour trahi depuis la ferveur du début jusqu’à la misére de la fin.
Le post ci-dessus (je le préciserai pour chacun d’entre eux) date du 08/09/2013 pour sa première publication… Vos commentaires sont absents sur ce reblogging. Je n’ai, hélas, pas pu les retrouver dans « mes documents »…
Ce texte devait être, comme promis, publié en août mais, lors de mon passage chez moi, KarmaOS était en panne. Voici donc finalement ce soir mon autre « livre de chevet »… En tout cas, une lecture absolument indispensable !
J’ai toujours chroniqué sur ce blog les romans de Romain Slocombe. Sauf en 2011 où j’étais en pause. Pourtant cette année-là, il en fit paraître deux : « Monsieur Le Commandant » dans la collection « Les Affranchis » de « Nil Editions » et « Shanghai Connexion », dernier volume de la trilogie « L’Océan de la Stérilité » (voir ici et là pour les deux premiers tomes) chez « Fayard noir ».
Depuis ce 5 septembre, son nouveau titre « Première station avant l’abattoir » est en librairie publié auprès des « Editions du Seuil » : il s’agit d’un thriller d’espionnage se déroulant dans les années 20 que je n’ai pas encore eu l’occasion de me procurer et de lire. Une affaire à suivre pour bientôt en quelque sorte.
J’ai amèrement regretté de n’avoir pas parlé ici de « Monsieur Le Commandant » en 2011.
Sa toute récente réédition en collection de poche datant de juin me donne l’opportunité de le faire enfin avec enthousiasme.
En effet, cet opus est sans doute pour beaucoup de celles et ceux qui l’ont déjà lu le plus abouti de Slocombe et ce n’est pas sans raison. En 2011, il fut retenu dans la première sélection du Goncourt, parvint en troisième position dans le Prix Goncourt des Lycéens et obtint en 2012 le Prix du « Livre de Nice », Prix « Baie des Anges ».
Je me suis assez souvent plainte ici de la « confidentialité » que connaissent les œuvres de Slocombe pour être ravie du succès de ce roman.
Je l’attribue à deux faits. Tout d’abord l’accessibilité de la lecture. En effet, « Monsieur Le Commandant » est en quelque sorte un livre « de commande » : la collection « Les Affranchis » de « Nil Editions » impose à ses auteurs de « fournir » la lettre qu’ils n’ont jamais écrite. La forme épistolaire donnait donc à Slocombe l’occasion d’écrire un roman de facture classique et non d’user de ses fascinantes toiles d’araignée habituelles qui peuvent dérouter.
En second lieu, le sujet choisi : la lettre imaginée par Romain Slocombe est une lettre de dénonciation écrite en 1942 au Commandant Schöllehammer de la Kreiskommandantur d’Andigny, dans l’Eure.
Son auteur est un académicien, Paul-Jean Husson, qui partage sa vie entre Paris et cette petite ville de Normandie.
Husson est un antibolchévique et un antisémite convaincu : il ne cesse de le justifier à « Monsieur Le Commandant » tout au long de sa missive qui relate des faits commencés dès l’entre deux guerres. Pour lui, L’Allemagne hitlérienne est celle qui va surgir au bon moment pour aider la France à se débarrasser de toute cette vermine, de cette juiverie, de ces rouges et de ces francs-maçons qui ont été placés si haut par le Front Populaire.
Si les propos de Husson sont, de page en page, totalement intolérables, on les lit cependant avec attention car on sait tous qu’ils furent ceux de nombre d’intellectuels de cette période et qu’ils lèvent un voile sur la collaboration par un biais tout à fait original puisque c’est un « collabo » qui parle dans ce livre.
« Collabo » pris au piège de ses contradictions. En 1932, son fils Olivier, musicien à l’Orchestre Symphonique de Paris lui fait connaître une jeune allemande qu’il a rencontrée lors d’une tournée et qu’il épousera en 1934 : Ilse Wolffsohn. Dès le premier regard, Husson est fasciné par la beauté de sa future belle-fille.
Les deux jeunes gens deviennent bientôt les parents d’une petite Hermione qui sera fortuitement la cause du drame de la vie de Husson : lors d’une promenade en barque avec Ilse pour distraire la petite, sa fille adorée Jeanne se noie et quelques mois plus tard, c’est sa femme qui, peut-être à cause de ce traumatisme, meurt d’une tumeur au cerveau.
Et pourtant, Husson n’en veut pas à Ilse mais à Hermione seulement. Depuis le début, il regrette que sa petite fille n’ait pas la beauté aryenne de sa mère.
Un soupçon monte peu à peu en lui et il contacte une agence de détectives privés. Le résultat tombe comme un couperet : Ilse Wolffsohn est juive.
Malgré cela, Husson est bien forcé de s’avouer ce qui germe en lui depuis le début : il est amoureux fou de sa belle-fille !
Tout en continuant à fréquenter la faune de ses amis antisémites et à cracher un indescriptible venin, il fait tout pour la mettre à l’abri.
La vraie douleur est de devoir cacher son amour.
Son fils est mobilisé, l’exode arrive et Husson s’enfuit avec Ilse et Hermione, ce qui va encore le rapprocher de sa bru.
Il accueille de façon dithyrambique le régime de Vichy et, Olivier étant « passé » à Londres, il est de plus en plus lié à Ilse qui vit à Paris et qui ne voit en lui qu’un vieillard protecteur.
Nous sommes maintenant au cœur des années d’occupation et voici que l’enquête privée autrefois diligentée pour en savoir plus sur Ilse va « retomber » sur Husson : on veut le faire chanter, on le fait assister à une terrifiante scène de torture d’un résistant et de la compagne de ce dernier…
Qui (et pourquoi) Husson dénonce-t-il à « Monsieur Le Commandant », je vous laisse le découvrir par vous-même...
Pour votre « acte concret » de lecture mais aussi parce qu’au fond, l’ignoble ne se raconte pas en deux lignes sur un blog et qu’il faut tout le talent de Slocombe pour nous amener à ne point fermer les yeux d'horreur sur la réalité de ce que trame Husson.
Si ce livre est réellement excellent, c’est parce qu’il nous brosse le portrait d’un « salaud » complet agissant en une époque dont l’on commence à avoir trop tendance à oublier les Français qui la firent : la collaboration. Des Français avec leurs motivations, leur haine, leur fanatisme. Nous préférons ne retenir que la « folie » des nazis. Mais certains de nos compatriotes furent leurs complices parce qu’ils partageaient leurs idéaux, voire parce qu’ils allaient plus loin qu’eux encore.
Cette analyse au scalpel d’un homme apparemment respectable mais qui vit sans aucun remords de sa gloriole de faire partie du cercle de Pétain à l’Académie Française, de son ressentiment antisémite partagé par d’autres célébrités, de sa proximité avec « Monsieur Le Commandant » frappent très fort nos esprits et nous remettent dans l’air d’un temps nauséabond qui n’est pas si loin que ça.
On peut faire confiance à Romain Slocombe pour l’exactitude historique totale des « plans de fond » de son roman : il est déjà l’auteur d’un livre pour la jeunesse sur le même thème (« Qui se souvient de Paula ? »), le dernier tome de la trilogie (le « Shanghai Connexion », cité plus haut) se situe précisément dans la même période et la bibliographie annexe de ces trois livres atteste de leur véridicité en termes de documentation.
Tout est calculé de l’action de ce roman comme sur du papier millimétré.
Et puis, charme de plus, Romain Slocombe n’oublie pas de faire un clin d’œil parfois à ses fidèles lecteurs en usant de l'une de ces ficelles de magicien de la plume qu'il est avec ses « trucs » comme dans la fausse « note de l’éditeur » du début ou dans cette scène d’exode où la route de Husson et de Ilse croise celle de… Man Ray !
« Veuillez m’excuser de vous avoir importuné avec ces explications longues, mais, vous en conviendrez, nécessaires, et recevez, Monsieur le Commandant, l’assurance renouvelée de mes sentiments les plus dévoués et les plus respectueux. »
« Monsieur Le Commandant » - Romain Slocombe - 2011- Nil Editions - Collection « Les Affranchis » et 2013 - Pocket No 15468.
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