BDSM "Année Bissextile" (Ano Bisiesto), un film mexicain de Michael Rowe avec Monica Del Carmen et Gustavo Sanchez Perra, Caméra d'Or au Festival de Cannes 2010.

Affiche de « Année Bissextile » de Michael Rowe, Caméra d’Or au Festival de Cannes 2010 © Pyramide Films.

 
 
J’ai la plupart du temps une certaine difficulté à entrer dans un film traitant du BDSM (je parle de ceux des circuits de cinéma traditionnels et non de ceux empruntant la route de la pornographie par DVD ou téléchargement que j’avoue ne pas connaître) si celui-ci nous parvient d’un autre continent.
 
Il est toujours très malaisé de nous défaire de nos codes européens à moins que quelque chose (la situation) ou quelqu’un (l’un des protagonistes) ne nous accroche réellement.
Si cette amorce est ce qui s’est toujours passé pour moi avec le cinéma japonais, en revanche, j’ai totalement « loupé » le fameux film sud-coréen « Fantasmes » de Jang Sun-woo en 1999, film que beaucoup considèrent comme un chef d’œuvre et où je me suis ennuyée à mourir.
 
Actuellement sur nos écrans, « Année Bissextile » de l’Australien Michael Rowe (qui vit et travaille au Mexique) a remporté cette année la Caméra d’Or du Festival de Cannes.
C’est une haute distinction qui récompense une première œuvre.
On se souviendra au passage qu’elle a révélé en leur temps des cinéastes comme Romain Goupil ou Fassbinder.
Qu’elle aille à un film que les critiques qualifièrent de « scénario autour d’un rapport sadomasochiste » lors de sa présentation ne le rendait que plus attrayant.
 
Film exigeant, c’est évident et qui n’a rien de voyeuriste.
La lenteur avec laquelle l’intrigue se met en place, le huis clos risquent d’en décourager plus d’un.
 
Laura est une indienne mexicaine d’environ 25 ans, petite et boulotte.
Elle a quitté sa famille et sa lointaine province pour venir vivre dans un minuscule appartement de Mexico où elle passe ses journées de journaliste pigiste à taper quelques articles sur son ordinateur mais surtout à observer ses voisins, un couple jeune qu’elle envie visiblement et un autre, de personnes âgées, qui habitent sous ses fenêtres.
Son existence est toute là.
C’est l’ « ultramoderne solitude ».
 
A sa mère et à ses amis qui lui téléphonent, elle ment, s’inventant une vie active et riche de contacts.
Les siens se limitent hélas aux quelques hommes qu’elle ramène le samedi soir chez elle après avoir rangé ses bourrelets dans des tenues qu’elle voudrait « sexy » pour une virée en boîte.
Ces hommes s'arrêtent pour une étreinte bâclée puis s’en vont à la fin de la nuit, parfois même avant.
 
Le temps est ainsi rythmé pour nous autres spectateurs qui ne « sortons » jamais de cet appartement par le calendrier d’un mois de février bissextile où Laura fait méthodiquement une croix sur chaque jour qui s’annonce fini.
D’avance, elle a « rougi » la case du 29 février.
 
Un samedi pas comme les autres, elle rentre avec Arturo, Mexicain pure souche et pratiquant de l’amour qui fait mal.
Et il arrive à temps, Arturo, car si l’on s’intéressait à ce portrait de jeune femme désespérée, un bon tiers du film étant déjà dépassé, on commençait à se demander si les critiques cannois n’avaient pas fumé la moquette pour y voir du SM…
 
Si les scènes érotiques sont dès lors très explicites, crues et même violentes, il nous faut oublier nos poncifs du cuir et de la « mallette du dominateur ».
Nul besoin de donjon ici, pas plus que de clichés éculés.
C’est autre chose qui se joue.
Un drame venu d’un passé qui ne passe pas.
 
Une histoire de peau, dans le sens de « jouer sa peau » et là resurgit l’éternelle question du « Qui domine qui ? » : qu’est-ce que Laura a dans sa tête, elle qui se soumet à toutes les brutalités d’Arturo comme si elle les avait attendues depuis toujours mais qui se retrouve ensuite dans ses bras pour les seuls moments où un semblant de « vraie vie », de communication et d’humanité traverse ce film si noir ?
Que veut-elle faire le 29 février et pourquoi ?
 
En dire plus serait trahir cette œuvre cinématographique sur les rapports de pouvoir (vus sous l'angle sociétal aussi bien que sexuel) mais aussi sur le gouffre toujours possible qui ne tient qu’à un fil pour séparer Eros de Thanatos.
 
En recommandant aux âmes pudibondes d’éviter ce long métrage (car, oui, certaines images peuvent choquer, il est plus honnête de le dire), on en retiendra la maîtrise parfaite de la mise en scène de Michael Rowe qui donne à « Année Bissextile » les couleurs d'un thriller socio-psycho-érotique, la puissance évocatrice des portraits (les personnages de Laura et d’Arturo sont admirablement joués par Monica Del Carmen et Gustavo Sanchez Perra) et celle d’une capitale du Mexique déshumanisée qui font que ce premier film méritait en effet - sans conteste possible - d’être primé par la Caméra d’Or 2010.