BDSM (Auto)Fiction: Le Tunnel (texte du 2 juillet 2009).
Je reproduis ici ce soir, sans y changer une seule virgule, mon texte « Le Tunnel » paru le 2 juillet 2009 sous le label "BDSM Fiction" et aussitôt effacé à la suite de commentaires qui le jugeaient stylistiquement déséquilibré.
Il l’est en effet. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Néanmoins, il est tout autant cher à mon cœur.
On ne sait jamais ce qu’il peut advenir d’un blog d’un jour à l’autre.
Je serais très triste si le mien venait à prendre fin sur un coup de tête ou de fatigue tôt ou tard qu’il ne comporte pas alors en son sein ces quelques paragraphes qui disaient dès ces temps bien des choses sous le couvert de la fiction et qui ont - il faut bien le reconnaître aujourd'hui - l’étrange couleur du présage…
« Ci separammo un po' come ci unimmo
senza far niente e niente poi c'era da fare
se non che farlo e lentamente noi fuggimmo
lontano dove non ci si può più pensare ».*
Claudio Baglioni - « Mille giorni di me e di te ».
Cette nouvelle étant une fiction BDSM, (bla bla bla bla) ressemblance (bla bla bla bla) personnes vivantes ou décédées (bla bla bla bla) purement fortuite…
Canicule de midi-treize heures. Chaleur suffocante.
Feu rouge.
Par la fenêtre de son Audi, il jette un oeil sur les visages inconnus qui s’arrêtent à ses côtés.
Il ne s’y attarde pas. Et puis si.
Les voilà ses nouveaux pairs dorénavant. Des anonymes qui paraissent aussi perdus qu’il l’est.
Qui sait ce qu’ils peuvent bien penser de lui ?
Rien.
Rien n’est inscrit sur son visage et il n’a rien de particulier par ailleurs.
Eux non plus. Tous unis par le seul fait de faire partie d’un même paysage urbain.
C’est ainsi que doivent se sentir les choses inanimées.
Et pourtant, peut-être vivent-ils les mêmes moments que lui.
Feu vert.
On repart. Tous se séparent.
L’autoroute.
Il reprend sa course pour avaler des kilomètres.
Mais ce qu’il déglutit, c’est autre chose.
Il y a un ordre parfaitement structuré dans la perte - même si on en est à l’origine, même si on en a été l’ordonnateur - qui fait peur. Il ne faut pas se laisser engloutir dans ce maelstrom.
Il ne réussit pas encore à penser à elle avec des mots. Ceux qui lui viendraient, ceux qu’il chasse comme les mouches sur sa peau collante de sueur, n’auraient aucune pertinence.
Il conduit une heure ou deux. Le trafic est fluide.
Puis il s’arrête à une station-service, se passe la main sur les yeux comme en un rite de compassion. Il se demande s’il n’a pas de la fièvre.
Au lieu de se souvenir de séances où il tenait le fouet en main et la faisait crier, au lieu de se souvenir d’eux, nus ensemble égaux et inégaux dans leurs jeux, ne parviennent sous ses paupières fatiguées que ces gestes légers avec lesquels, dans une parfumerie, elle lui tendait les petites mouillettes de fragrances différentes « Dis, et celle-ci, qu’est-ce que tu en penses ? », avec une moue gracieuse, dans le souci de choisir une eau de toilette pour lui plaire, incapable d’admettre qu’elle pouvait n’être plus du tout séduisante à ses yeux et tentant toujours de figurer comme protagoniste de ce qu’il voulait n’être déjà plus que son histoire à lui, elle avec ses vaines tentatives de féminité qui l’exaspéraient, toutes ces phrases, toutes ces questions auxquelles il ne répondait même plus.
Ses pauvres stratagèmes qu’elle devait supposer irrésistibles ne lui inspiraient même pas de la pitié : ils l’ennuyaient d’une façon incroyable, mortifère, quand ils ne l’incitaient pas à un dégoût d’elle encore potentialisé.
« Dis, et le désamour, tu sais ce que c’est ? Je n’ai plus envie de toi ! Plus envie de toi, tu peux comprendre ça ? » aurait-il voulu lui hurler en la secouant.
Il a tout fait pour qu’elle parte. Le but était que ce soit elle qui prenne la décision ultime. Qu’elle en endosse et la responsabilité mais aussi la culpabilité. Savait-il ou non consciemment qu’il la manipulait dans ce sens lorsqu’il lui infligeait toutes ces rebuffades ?
Pourtant, à la fin, c’est lui qui s’est éclipsé, laissant une femme rompue, désertée de tout sentiment d’estime de soi, après des dizaines de « dernier essai » et autant de « dernière chance », comme elle disait.
Il a respiré de tous ses poumons « Enfin libre ! ».
Tous les champs du possible s’offraient à lui.
Mille et trois femmes multipliées par mille et trois devaient sûrement l’attendre quelque part.
Mille et trois femmes s’ouvrant pour lui au détour de chaque voie rapide.
Aujourd’hui, en se demandant où elle est, où ses pas de femme entre deux âges solitaire et amère aux sillons naso-géniens si vite creusés peuvent bien l’entraîner et ce qu’elle porte par cette moiteur, un t-shirt ou un débardeur qui révèlent ses bras désormais imparfaits, il en vient à se dire que plus douloureux que les lanières des fouets, plus coupantes qu’eux, étaient sans doute pour elle ces bandes de papier cartonné imbibées de parfum qu’elle lui présentait avec un sourire d’enfant vieillie qui s’accrochait à ses rêves, qui refusait désespérément de comprendre que quelque chose de mal était susceptible de lui arriver et de détruire son château de sable, son autel si pieusement entretenu d’amour et de désir.
La climatisation est forte dans le buffet accolé à la station-service
Cela lui fait-il du bien ? Il met un euro cinquante dans la machine pour avoir un Coca glacé.
C’est de l’eau qui coule pour commencer dans le gobelet.
Belle arnaque, comme d’habitude.
Il boit et retourne vers sa voiture. On dirait qu’il marche sur du goudron fondu.
Il va falloir rouler vite maintenant.
Il est en retard.
Une autre, une fille jeune, l’attend.
Juste après la station-service, il y a un tunnel.
Il s’y engage.
* « Nous nous quittâmes un peu comme nous nous nous unîmes
sans ne rien faire et rien ne pouvait être fait,
sinon le faire et lentement nous nous enfuîmes
loin de tout, là où l’on pouvait ne plus penser… ».
Wednesday 17 March 2010 à 03h55
par AURORA
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