Photo Gabriele Rigon

Trente mois. Trente Toi.

Une ineffable éducation à la patience.

Comme jadis, il avait posé entre eux un fouet, au vu mais aussi à l’insu de tous dans ce buffet de la gare, pour leur premier rendez-vous, non un fouet qui séparait mais un fouet qui proposait, on ne sait quoi, peut-être de réparer les zones blanches et grises du non-advenu, le temps perdu, les fausses notes, elle aurait placé là, sur le bois rugueux de la chaise, ses seins comme une offrande, une muette supplique, une invocation à la douleur, sachant qu’il Lui plairait de la voir ainsi, volontaire et fière. Fière comme on peut l’être lorsqu’en baissant les yeux, on s’isole des autres, on les écarte, on les éloigne. Fière comme lorsqu’on veut bien montrer qu’on n’en reconnaîtra qu’un seul.

Il faut savoir oser la demande sans mots. C’est la plus difficile, la plus profonde aussi. Réclamer la douleur comme on se tend vers un baiser. Accepter d’avance d’en crier peut-être, d’en pleurer sans doute, de se perdre en elle à ne plus savoir ses repères dans un dépassement sans bornes pour les retrouver ensuite dans cet après qui se conjugue si vite au présent.

Je ne suis pas toujours parvenue à l’impassibilité et au silence du marbre que je m'étais fixés pour but. J’ai feulé et je me suis plainte, j’ai tourbillonné sous le fouet, je me suis étirée de tous mes muscles pour y échapper, essayer de m’enfuir en tirant sur mes anneaux, j’ai désiré parfois que Tu m’accordes grâce et remise de peine.

Peine et « Pain »... Curieux comme les deux mots de sonorité quasiment similaire ont des sens différents du français à l’anglais. Ma peine est-elle vraiment dans « my pain » ? Ou ai-je de la peine si je n’ai pas de « pain » ?

Et cette "pain"-là est mon pain quotidien pétri d’amour, le Tien, le mien.

Que je viens quérir même si c’est pour en gémir.

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