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auroraweblog
Très bien vu. De peur de choquer et d'avoir sur le dos les parents d'élèves, les ligues de protection de la jeunesse, les religieux de tout poil, le club des amis de Benoit XVI et/ou de frère Tariq, les supérieurs hiérarchiques, la presse bien-pensante et les psys gnangnangnan (liste non exhaustive) on finit par s'autocensurer. Aucun collègue de philosophie n'oserait aujourd'hui proposer une bibliographie comportant Sade et Pauline Réage. Quant au génial roman de Cohen, qu'on se "rassure" -- enfin, façon de parler -- , les étudiants n'y comprennent RIEN parce que son écriture leur résiste trop et qu'ils ne peuvent y entrer qu'à grand-peine. Chaque époque a les écrivains qu'elle mérite : aujourd'hui, si on lit, on se repaît de fictions faciles, qui ne mangent pas de pain, ne choquent aucune bonne âme, et ne dérangent personne grâce à un politically correct étendu jusqu'à la fadeur (Barbery, Begaudeau, Delerm...). Il est permis de le déplorer,et pour l'amour de la littérature et pour celui de la liberté.
Idalie Felix | 10/20/2007
Complètement d'accord! Et ceux des ces professeurs qui oseraient, seraient probablement ou stigmatisé, ou tout simplement ignorés aux vues de leur "manque de sérieux". Je me permets sur ce point une anecdote qui m'est arrivée ces derniers jours. Étudiante en master en Suisse, j'ai rédigé un mémoire sur Christine Angot et j'ai choisi comme un de mes sujets d'examen "les représentations du corps dans la littérature contemporaine" (j'espère ne pas déchaîner ici un débat sur la qualité ou non-qualité des écrits de Christine Angot, car là n'est ni la question, ni mon propos!). Le weekend dernier, je me suis rendu à un colloque sur la peur et notamment pour écouter une intervention sur "l'obscénité au théâtre comme grande peur contemporaine". Quelle ne fut pas ma suprise lorsque, rencontrant un professeur que je n'avais plus eu en cours depuis 5 ans (!), ce dernier me lâche, avec un sourire mi-sarcastique, mi-goguenard: "ha, cela ne m'étonne pas de vous voir venir écouter des choses malsaines, cela vous ressemble bien!"

À sa mine, j'ai compris que c'était ce que certains pensaient de moi dans mon université. Je n'ai pas commenté, mais il est évident que j'aurais eu droit à un bonjour beaucoup plus respectueux si j'avais choisi comme domaine de recherche l'influence du jansénisme chez Pascal ou l'ironie tragique de Racine.

Bref, luttons!
anaiS | 10/20/2007
La censure est souvent pataude ; il suffira de programmer les "Fondations" pour effectivement aborder le sujet des amours enchaînées !
Par ailleurs si Sade me semble bien légitime, je ne vois pas trop pourquoi Réage devrait figurer dans une biblio de philo (et pourquoi pas "Steve Masson" ?) ?! Ni le (sublime) "Belle du seigneur" : il y a bien assez de philsophes à lire déjà, AMHA.
lesyeuxsanspaupieres | 10/20/2007
Amusant non ? quarante ans après la soi-disant libération des moeurs de mai 68, on se rend compte qu'il n'y a rien de plus coincé, cul-bénit, pharisien et borné que les bonnes âmes. La normalisation est en marche, elle dégoulinera de bons sentiments, mais sera d'une tristesse et d'un conformisme à mourir.
KeyserSoese | 10/20/2007
Lysp> Tu as raison, cette liste méritait une explication. Pour ne pas alourdir la note, je me suis contentée d’évoquer une Terminale « A ».
C’était en fait une Terminale « A2 » (Lettres et Latin) qui avait pour moi l’avantage de m’éviter de passer les maths en épreuve au Bac (j’étais nulle).
Seulement, ô bizarrerie de l’E.N., les élèves qui avaient eu une note « qui leur suffisait » (et, crois-moi, un 10/20 suffisait à la plupart !) à l’épreuve anticipée de Français de la fin de l’année de Première n’étaient pas obligés de suivre les deux heures de Français en Terminale, heures facultatives.
Et bien que l’on y étudiât (enfin !) le 20ème siècle, la plupart de mes camarades se faisaient un plaisir de ne pas se "surcharger" avec ce cours.
Les profs de philo qui nous « tenaient » huit heures avaient donc trouvé ce stratagème des "exposés" qui alliaient une bibliographie…philosophique et une bibliographie littéraire afin que les « tire-au-flanc » soient tout de même obligés de lire et ne passent pas le Bac « A » sans un viatique sérieux de culture en littérature…


PS: J'aime beaucoup le "Lourdes, lentes" d'André Hardellet (Steve Masson) mais celui-là, je l'ai lu alors que j'étais en faculté. Tu m'as rappelé une anecdote assez loufoque vécue lorsque je décidai de l'acquérir.
Je la raconterai ici un jour.
AURORA | 10/20/2007
Je lis dans votre réflexion qui enjambe la littérature et le cinéma, via la philosophie, cette question : "Serais-je allée grossir les rangs des frustrés a jamais ? Je me hasarde à une réponse : "Oui, assurément, vous auriez développé de sérieux troubles ; or, cela ne me semble pas être le cas, Aurora ; l'épanouissement et la santé, mentale et physique, sans entrave, déterminent tout."
Joel Faure | 10/20/2007
je ne lis pas toujours régulièrement votre blog, mais il est d'intelligence d'humilité et de franchise. Etrange en effet de croiser les chemins mystiques lorsqu'on entre en soumission, sans savoir s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise chose encore faut-il le reconnaître...

Par ailleurs, la censure et l'ordre moral pointent le bout de leur nez, et nous perdons petit à petit des espaces de liberté par manque de vigilance, mais aussi d'analyse et de recul. Le BDSM apprend aussi cela me semble-t-il, que les différences sont richesse, et que l'abandon d'une différence aussi minime soit-elle aux ciseaux des censeurs, ou à la vindicte publique conduit tôt où tard à perdre toute liberté y compris celle de pouvoir se soumettre librement.

Merci encore à vous Aurora, de m'avoir permis d'ouvrir un oeil nouveau sur le monde et sur moi-même.
la carpette | 10/24/2007
Je me raccroche à une discussion qui date déjà de plusieurs années ;)
Aurora a écrit :
« Quant à l’Éros D’O, c’est un Éros christique et c’est là qu’il y a beaucoup à dire de cette œuvre.
Non que je veuille la brûler mais seulement lui rendre sa vraie dimension.
Et non, définitivement non, « L’Histoire d’O » ne peut pas plus être la « Bible » (sourire) des soumises que « Le Lien » de Vanessa Duriès ne peut être le but à faire atteindre à (ou à attendre de) leurs « dociles » par tous les Dominateurs… »
Je me suis amusé à écrire un essai sur Histoire d'O mais j’ai souvent été rebuté par le type de discussion qu’on rencontre sur ce sujet. Voilà un site qui plait : sensible et lettré.
Je voudrais revenir sur cet Éros christique. J’ai en effet toujours été frappé par un aspect mystique, ou dévotionnel, dans ce roman. J’ai lu quelque chose de semblable sous la plume d’Emmanuelle Arsan (je n’ai plus retrouvé où).
J’ai voulu, dans mon essai, développer ce thème. Les termes Dieu, dieu et divin sont utilisés 11 fois, dont quatre avec une minuscule quand il est fait référence à René ou à Sir Stephen. C’est toujours un Dieu terrible, un Dieu vengeur, un Dieu sourd au repentir, un Dieu du châtiment et du remord, un Dieu que le croyant, habité par la crainte, adore. Des termes du lexique religieux comme prosternation, sacrée, consacrée sont aussi invoqués à plusieurs reprises.
Mais encore ? J’ai eu beau chercher, je ne suis pas arrivé à découvrir cette dimension mystique. Il me semble qu’elle est beaucoup plus apparente que réelle. Il y a comme un artifice. Il y a d’ailleurs beaucoup de rideaux de fumées dans cette histoire.

Tu dis « c’est là qu’il y a beaucoup à dire ». Mais encore ? :)

Nicos
Nicos | 8/4/2010
Nikos> Je pense que vous devriez prendre connaissance de cette conférence au lien qui suit :


http://www.alexandra-destais.fr/pdf/troisieme_cours_up.pdf


La partie « Seconde légende »vous apportera déjà quelques éléments de réflexion supplémentaires…

Bien cordialement.
AURORA | 8/5/2010
Aurora

Merci de votre réponse.

J’avais déjà pris connaissance des cours et des conférences d’Alexandra Destais. Je dois dire que je les avais rangées parmi la majorité des critiques que j’ai lues qui étaient soit fort superficielles, soit d’une pédanterie académique insupportable, soit en contresens patent, soit tout cela à la fois, et toujours parcellaires.

Voilà le genre de contresens qu’on lit souvent :
« La beauté du mannequin, Jacqueline, fascine O qui en tombe amoureuse. » (p. 3)
« Histoire d’O réconcilie l’érotisme noir et l’amour fou. » (p.7)
« Les scènes sadomasochistes sont dans Histoire d’O l’expression de l’amour fou de l’héroïne. » (p. 20)

Je regrette, mais il n’y a pas une once d’amour dans ce livre. Ce n’est pas une critique. Je suis un grand admirateur.

Il est certes beaucoup question d’amour. Mais pour qu’on puisse parler d’amour il faudrait que les êtres en question aient un minimum de chair.

O n’aime pas Jacqueline, et d’ailleurs elle s’en défend explicitement et c’est réciproque.

René l’aime-t-il ? Mais qui est René ? Peut-on faire ne serait-ce qu’une esquisse de ce personnage aussi bien au physique qu’au mental ? On ne le connait guère que par ses paroles. Mais dans le premier chapitre il ne parle pratiquement qu’au nom de la communauté des affiliés. Il se fond d’ailleurs dans la masse et il se retire. Sa sexualité est tout aussi impersonnelle que celle des autres. Son seul véritable rôle est de la livrer à la société. C’est un ectoplasme. Une fois à Paris il est quasi inexistant dans la vie d’O, il la cède très vite à son demi-frère puis disparait graduellement.

Aime-t-elle René ?
On sait d’ailleurs qu’elle n’a jamais aimé personne avant René.
Le récit laisse penser qu’elle supporte sa servitude et ses supplices par amour et des commentateurs comme Alexandra Destais tombe dans le panneau.
Le type de contrat dont il s’agirait est l’accord que passent tacitement beaucoup de couples bancals, dans une relation mollement sadomasochiste : a) je t’aime, donc j’endurerai tout de toi et b) j’échange mon acceptation de tes supplices et de tes humiliations contre ton amour. En somme ce serait une femme battue qui endure les sévices pour sauver son couple. D’une part ces contrats négatifs n’aboutissent en général pas à de telles extrémités et de l’autre il ne procurent pas autant de félicité mais un équilibre boiteux et un gros lot de frustrations. C’est beaucoup trop trivial par rapport au contexte global de vénération religieuse et de béatitude qui prime dans cette histoire. De plus, je ne pense pas que ce type de relations puisse être le thème d’un roman intéressant.

Bon, il y a Sir Stephen. On le connait mieux qu’O elle-même d’ailleurs. Ils ont une certaine intimité. Mais sa libido a aussi quelque chose de très impersonnel. Lui aussi finit par disparaitre de l’histoire. Oui il est question d’amour entre elle et lui. Mais bien qu’il soit plus palpable j’ai du mal à y croire pour de multiples raisons.

Bref, j’en reviens à ma question sur le point de l’Éros mystique. Est-ce comme l’amour, un serpent de mer ? Je le crains. Mais je ne demande qu’à être convaincu.

Cordialement

Nicos
Nicos | 8/5/2010
Nicos,


Si « Histoire d’O » est une fort belle œuvre, c’est aussi un roman glacé où aucune psychologie des personnages n’apparaît et qui ne fonctionne pas comme la littérature traditionnelle le fait.

Faut-il y voir le fait qu’il ait été écrit en 1954 et que subsiste alors encore dans les milieux lettrés l’influence de l’écriture surréaliste qui ne décrit pas ou peu (notamment les protagonistes et les sentiments) mais s’attarde sur les situations et les objets ?

Ceci expliquerait que ce roman eut l’heur d’être accompagné de deux textes de Pieyre de Mandiargues.
Le premier - sur lequel je ne réussis pas à remettre la main ce soir - pour une édition limitée d’« Histoire d’O » (et publié aussi dans la revue « Critique » en 1955) s’intitule « Les fers, le feu et la nuit de l’âme » et Mandiargues y parle abondamment de « mystique ».

Le second est une postface au « chapitre additionnel » que l’on lit quelquefois sous le titre de « Retour à Roissy » et là, Mandiargues écrit :

« Songeons cependant que le sujet véritable de l'"Histoire d'O" est une fanatique ascèse de l'amour, menée très loin sur la personne d'une femme par une méthode de dégradation progressive, volontairement acceptée par le sujet et qui devrait, en bonne logique, aboutir à une dégradation totale de la chair. Songeons aussi que dans la mystique de la soumission, le plaisir fier d'abaisser son corps est une espèce de faiblesse, guère plus excusable que le plaisir des sens. ».

Si nous y ajoutons que l’auteur (Anne Desclos, Dominique Aury, Pauline Réage) provenait d’une famille catholique et qu’avant « Histoire d’O », elle avait publié en 1943 une « Anthologie de la poésie religieuse française », l’idée de l’ « Eros Christique » semble alors plus claire.

S’il est - comme vous le signalez - difficile de concevoir l’amour d’O pour René ou pour Jacqueline, il est tout de même plus évident de percevoir celui qu’elle ressent pour Sir Stephen et là, oui, le sadomasochisme fait fonction d’ascèse et l’Eros Christique est franchement lisible, tel celui qui faisait écrire à Thérèse d’Avila :

« Je vis un ange proche de moi du côté gauche. Il n'était pas grand mais plutôt petit, très beau, avec un visage si empourpré qu'il ressemblait à ces anges aux couleurs si vives qu'ils semblent s'enflammer.
Je voyais dans ses mains une lame d'or, et au bout, il semblait y avoir une flamme. Il me semblait l'enfoncer plusieurs fois dans mon cœur et atteindre mes entrailles : lorsqu'il le retirait, il me semblait les emporter avec lui, et me laissait toute embrasée d'un grand amour de Dieu.
La douleur était si grande qu'elle m'arrachait des soupirs, et la suavité que me donnait cette très grande douleur était si excessive qu'on ne pouvait que désirer qu'elle se poursuive, et que l'âme ne se contente de moins que Dieu. »…


PS : Si vous souhaitez poursuivre cet échange, je me dois de vous dire que je vais repartir en vacances dès samedi et que, si je laisse à quelqu’un le soin de valider les commentaires, je ne les verrai pas et ne pourrai y répondre avant la fin du mois.
N’ayant pas de PC portable à emporter avec moi, je serai en effet totalement absente des mondes virtuels pendant quelques semaines...

Bien cordialement.


AURORA | 8/6/2010
Tout à fait d’accord. J’insiste dans mon essai sur la minceur des personnages principaux. On n’a même pas de portrait physique. Paradoxalement ce sont les personnages secondaires, Jacqueline et Natalie, qui sont vraiment de chair et d’os.

Je comprends bien que le fanatisme dans la soumission et la possession qui préside à cette histoire a quelque chose de mystique. Il va jusqu’au suicide. Mais ça ne fait pas pour moi quelque chose de religieux… à moins que j’aie raté un point. J’ai pourtant beaucoup cherché.
Cela dit le background de l’auteure, s’il peut mettre sur la piste, n’apporte pas de preuve, pas plus que ses interviews, et la piste ne m’a conduit nulle part.

Je suis tout à fait d’accord avec l’essai de Pieyre de Mandiargues. Quand j’ai lu Histoire d'O, Retour à Roissy était introuvable. Quand je l’ai trouvé j’ai été très déçu. Dépité, j’ai essayé d’écrire une suite digne du roman. Je n’ai pas été très content du résultat ;-) J’y songe toujours.

En tout cas, bonnes vacances :-)

Nicos
Nicos | 8/6/2010
Je voulais réagir (et j’ai oublié) à ce que vous dites : « […] je me situe, moi, dans le rapport qu’ils nomment « one to one », de par le fait que je ne conçois la relation amoureuse […] que dans l’absolue fidélité. »
C’est bien entendu à des années lumières d’Histoire d'O, qui, elle, ne se situe que dans le many to many et plus particulièrement avec des inconnus, des étrangers, des anonymes. Ce qui s’appelle, improprement, dans le roman « prostitution ». Plus justement Sir Stephen dit qu’elle est une « esclave commune ».
Il n’y a guère de place pour la relation amoureuse dans ce cadre.

Cordialement

Nicos
Nicos | 8/6/2010
J’ai trouvé !

Je n’ai jamais ressenti aussi souvent ceci qu’avec ce roman : d’être comme devant ces dessins (dont j’ai oublié le nom) où il faut découvrir un lapin et un chasseur dans un paysage. Il a toujours été là mais on ne le voyait pas et une fois qu’on l’a vu on ne peut plus ne pas le voir.
C’est fou la quantité de lapins cachés dans Histoire d'O et c’est fou comme les fourrés qui les masquent sont luxuriants.
C’est fou le nombre de gens innocents qui comme A. Destaix ne voient que les fourrés et ne soupçonnent même pas qu’il y a des lapins.

Corrigez-moi si je me trompe.
Quelque chose revient fréquemment dans les témoignages des soumises, par exemple dans Le sexe fort : dans les supplices et dans le sexe elles ressentent fortement le désir et le plaisir de leur bourreau, elles perçoivent plus ou moins clairement son effort et la montée de son excitation, ses éventuelles hésitations. C’est un des ingrédients de leur propre plaisir.

« J’ai besoin de sentir votre domination pour arriver à vivre des sensations extrêmes. Et j’ai surtout envie que vous vous fassiez plaisir, de sentir votre excitation, de savoir que toute la souffrance que j’endure est pour le plaisir du Maître. J’ai envie de souffrir mais de sentir que cela plaît à mon bienfaiteur. » (p. 23)
« J’avoue que j’aime sentir votre contact, votre présence, quand vous me faites mal. » (p. 25-26)
« J’aime vous sentir à mes côtés en train de jouir du spectacle, et moi bavant et souffrant le martyre. » (p. 27)
Tout ceci est totalement absent d’Histoire d'O. Elle n’a aucune interaction émotionnelle avec quiconque et en premier lieu pas avec René (qui d’ailleurs ne la bat jamais lui-même). Il y a bien quelques éclairs avec Sir Stephen.

Dans le témoignage de Thérèse d’Avila il y a un ange dont elle nous donne en trois lignes un portrait plus détaillé que tout ce qu’on apprend sur René. En particulier il est beau (1). Pour O il n’y a jamais la moindre intimité dans ses scènes de sévices ou de torture.

Voilà où je voulais en venir : le personnage dominant qui devrait normalement être l’objet de cette relation de soumission, de crainte et d’adoration étant tellement abstrait, tellement distant, tellement dépourvu de chair, prend forcément une stature un peu divine.
Ce n’est pas qu’il y ait un Dieu, c’est qu’il n’y a pas d’homme.

Re bonnes vacances (si vous lisez cela avant de partir)
Nicos

1) Dans mon essai j’analyse en détail le fait qu’aucun personnage n’est beau, hormis Jacqueline, et plus particulièrement qu’on ne sait pas si l’héroïne elle-même est belle (ça n’empêche pas de nombreux commentateurs de dire qu’O est une belle jeune femme). En étudiant le texte de près on voit très bien qu’en fait elle n’est pas belle et que c’est l’objet d’une souffrance abyssale.
Nicos | 8/6/2010
J'oubliais : pourriez-vous me donner les références de la citation de la sainte ?

Re re bonnes vacances ;-)

Nicos
Nicos | 8/6/2010
Nicos,

Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il y a, pour toute œuvre un peu complexe, presque autant de lectures que de lecteurs.

Je n’ai eu vent de l’explication d’ « Histoire d’O » par l’ « Eros Christique » que tard dans ma vie par le biais de l’un de mes commentateurs sur cette note où je m’interrogeais sur la dernière phrase de ce roman (comme vous, j’ai toujours considéré que le livre s’arrêtait à ces lignes et que « Retour a Roissy » était un appendice surprenant et inutile) :

http://auroraweblog.karmaos.com/post/849

J’avoue avoir été convaincue alors par cette interprétation et ne l’avoir retrouvée que plus tard chez Alexandra Destais, un peu transformée mais allant dans le même sens.
Cela dit, reste que c’est « une » lecture et que nul ne prétend que c’est l’unique, ni même la meilleure.
Votre « Ce n’est pas qu’il y ait un Dieu, c’est qu’il n’y a pas d’homme. » est tout aussi intéressant.

Oui, l’absolue froideur qui règne dans l’ « Histoire d’O » a quelque chose de sidérant et c’est en ce sens que ce grand roman - en tant qu’objet littéraire - ne peut être considéré comme la pierre angulaire d’un quelconque dogme BDSM ou SM (pas plus que les œuvres du Marquis de Sade ou « Le lien » de Vanessa Duriès).
En littérature, le BDSM n’a pas de « Bible » est c’est heureux puisque cela permet à chacun de le vivre comme il l’entend (cf vos citations du « Sexe fort » qui ne font pas toutes partie de mon vécu qui se réduit comme vous le faites remarquer au « one to one »).

Pour la phrase de Ste Thérèse, elle provient de « Vie écrite par elle-même » de Thérèse d’Avila (en édition de poche chez « Points Seuil-Sagesse »).

On peut en retrouver le texte avec quelques très légères variantes dans les mots (il existe au fil des siècles plusieurs versions de la traduction des mémoires de Thérèse) en ligne sur ce site :

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Textes/index.html

(cliquer « Ste Thérèse d’Avila » puis « Autobiographie » et aller au chapitre 29).

Merci de vos vœux pour mes vacances. J’espère que les vôtres seront fructueuses et heureuses aussi.
Quand votre essai paraîtra, faites-le nous savoir.
J’espère très sincèrement vous relire.

Bien cordialement.

AURORA | 8/6/2010
Aurora

Vous avez écrit : « Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il y a, pour toute œuvre un peu complexe, presque autant de lectures que de lecteurs. »
C’est un fait, surtout quand le texte laisse tant de place à l’interprétation, mais ce que je vais dire vous paraitra une énormité : je pense qu’il y a des lectures exactes et des lectures erronées. Les citations que j’ai données d’A. Destais sont des contresens criants, ce ne sont pas des lectures possibles parmi d’autres.
De même pour la beauté : « O, l’héroïne, est une jeune et belle photographe […] » (Doris KLOSTER, Histoire d’O illustrée, p. 7.). C’est un exemple parmi bien d’autres d’un biais tout à fait étonnant pour moi. Où a-t-elle vu qu’O était belle ?
Quelqu’un me disait aujourd’hui même qu’il y a des archétypes incontournables : dans un conte pour enfants l’héroïne est forcément belle. Pauline Réage s’étant dispensée de faire les portraits de ses personnages principaux, faut-il inférer qu’O est belle puisqu’une héroïne de roman, érotique de surcroit, ne peut que l’être ? C’est typiquement le piège dans lequel le commentateur doit éviter de tomber. Aucun des protagonistes ne fait la moindre remarque ni sur sa beauté, ni sur ses charmes. O elle-même, dont le monologue intérieur est pourtant fort riche, ne laisse rien transparaitre de son point de vue sur à ce sujet. La narratrice n’en dit pas plus… mais elle laisse ça et là des indices tout à fait significatifs.

Pour moi tous les commentaires ne sont pas équivalents. En particulier on ne peut faire dire au texte ce qu’il ne dit pas. Ce n’est pas de l’interprétation.

Il me parait inévitable qu’Histoire d'O ait pris plus ou moins valeur de référence pour un tas de gens. De fait il m’a semblé qu’il s’agissait surtout du film alors que peu on lu le livre. Le fameux O-ring en est sorti tout droit. Mais le livre est bien trop fantasmagorique et même onirique pour être transposable.


J’ai déjà proposé mon manuscrit. Il m’a été refusé par Frank Spangler : « Intéressant mais pas vendeur. » Je me suis amusé à l’écrire pour satisfaire une curiosité personnelle mais je n’ai guère d’espoir de le voir publié.

Nicos
Nicos | 8/6/2010
Aurora

Merci pour la référence. J’ai trouvé la citation sur Wikipedia aussi.

Je viens de lire sur la page que vous m’avez donnée, http://auroraweblog.karmaos.com/post/849, à propos des deux minuscules et laconiques épilogues d’Histoire d'O.

Trasimarque écrit :
« Pourquoi Sir Stephen y consentit ?
Hé bien, au risque de vous faire crier, parce que Histoire d'O est un roman mystique chrétien […].
C'est ce qui fait que ce roman est encore fascinant et scandaleux.
O c'est le Christ, Sir Stephen est le Père. O ne vit rien d'autre que l'histoire tragique de l'incarnation divine. Et Dieu consent à la mort du Christ, autrement dit de lui-même. »

Voilà qui est parler pour ne rien dire. C’est absolument n’importe quoi. Je vais ranger cela dans mon sottisier.

Le deuxième épilogue est son suicide, ce qui est tout à fait cohérent avec son désir de destruction. Que Sir Stephen y consente est cohérent avec son statut de dominant absolu, donc de démiurge. Il a droit de vie et de mort.
De plus, il faut encore en rechercher la racine : un très fort désir de réification.
La possession discrétionnaire d’O en tant qu’objet que réclament ces hommes, autrement dit souhaitée par elle, entraine nécessairement son anéantissement. En effet, O, toute désireuse qu’elle soit elle-même d’être un objet, et en particulier du fait même de ce désir, reste un sujet. Le trouble et le délice qu’elle éprouve à sa dépossession la range irrémédiablement au nombre des êtres animés doués d’affects. Enfin, comme leur plaisir se repait surtout des états d’âme d’O (le trouble, l’humiliation, la honte), et aussi de ses états de corps (le couple souffrance-jouissance dont témoignent ses cris et ses gémissements, la brulure du désir et de l’excitation) c’est donc un être pourvu d’une âme dont ils ont besoin et non la poupée gonflable que deviendrait O si elle devenait tout à fait une chose.
L’infime parcelle d’humanité qui subsistera toujours en elle remet radicalement en question toute réification et partant l’absolue propriété à laquelle ils prétendent. Son statut d’objet reste constamment en chantier, un chantier nécessitant toujours plus d’effort et toujours inachevé, le dessein se dérobant à mesure qu’on s’approche de son accomplissement. Il n’y a pour cela que la mort ou, à défaut, le cul de basse-fosse, Roissy.

De plus Roissy est pour elle un souvenir exquis. Elle en a la nostalgie, non dite certes, mais qui transparait ici ou là.

Mais, ma cerise sur le gâteau, ce que je garde pour la fin, c’est l’objet du désir : ce que représente vraiment Roissy pour elle, ce qu’elle espère vraiment.

C’étaient mes dernières réflexions avant les vacances.

Nicos
Nicos | 8/6/2010
Nicos>

Je ne puis vous suivre quant à Trasimarque. Il fut l'un de mes commentateurs les plus avisés (doublé alors d'un blogueur émérite) et je regrette sa disparition dans la nuit du Web depuis des années maintenant.

Pour le reste, je vous donne raison sur tout.
La beauté d'O ne remonte qu'à 1975 lorsqu'elle acquit la plastique de Corinne Cléry au cinéma et le trait assuré de Guido Crepax en bande dessinée.

Certes, Leonor Fini l'avait "croquée" auparavant mais en en faisant une créature de Leonor Fini et là, la notion de "beauté" devient toute subjective.

Le livre de photos de Doris Kloster datant de 2000, il est évident que son propos que vous citez se réfère à l'héroïne du film et non pas à l' "O" de Réage...

Votre dernier commentaire est particulièrement passionnant.
On regrettera que Spengler n'ait pas les audaces d'édition de Pauvert....

A bientôt peut-être...

Cordialement.


AURORA | 8/7/2010
"Il est toujours agréable de rencontrer ce que l’on fut à seize ans." --> Non non... :)
B l o w n b l u e | 8/8/2010
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