M COMME MA JAPO-NIAISERIE ( ROMAN-PHOTO ) 4 ...

               

 

ROMAN PHOTO 4.

 

 

Je l’ai amenée sur la terrasse. J’avais réussi à trouver un carton propre rempli d’anciens documents pour qu’elle y repose sa tête . Elle est restée un peu ainsi, cambrée avec les fruits d’opale de ses fesses tendus vers moi. Nous y étions. Shiori se transformait enfin en marbre et faisait de moi, le peintre, un sculpteur, un sculpteur de vie. Je me sentais plus heureux que lorsque autrefois, on m’avait décerné des prix pour des tableaux de fleurs, de chats ou même de femmes.

Le chef d’œuvre absolu était là, en cet instant précis et sous mes yeux. Un chef d’œuvre de chair qui éprouvait du plaisir. Un chef d’œuvre vivant que je pouvais, ô immense cadeau divin du dieu de l’amour, encore et encore améliorer.

 

Elle a voulu être conduite plus à l’extérieur encore et c’est elle qui a désiré reprendre la même pose. Parfois, elle me regardait. Parfois, le plus souvent d’ailleurs, elle fermait les yeux

Mais elle continuait, dans le feu de son plaisir qui se renouvelait comme par ondes de temps à autre, abrupt et inattendu, à dire « Je vous aime » d’une voix rauque qui n’était pas vraiment la sienne.

 

Et soudain, étonnamment lucide, elle s’est mise à parler très clairement, à réclamer son dû en quelque sorte. C’est elle qui, sans que je m’y attende a parlé des choses du passé, les indiquant clairement par leur nom, c’est elle qui a voulu « être attachée à en avoir mal », c’est elle qui m’a demandé de lier ses bras le plus haut possible et de ne pas oublier ses seins . Elle m’a tutoyé et m’a questionné presque durement « Hiroki, ne me dis pas que tu ne te souviens pas de ce que tu peux faire de mes seins. »

 

J’ai dénudé totalement le bas de son corps. Ah ! Ma beauté ! Ah ! Ma statue ! Ah ! Mon amour !

J’ai remonté le plus haut possible son corsage et j’ai enlevé toutes mes cordes pour recommencer une autre statue d’amour plus belle encore, une caryatide que j’ai attachée à une gouttière.

Shiori n’était plus un chaton : elle est alors devenue un tigre qui feulait sa jouissance. J’ai eu un instant la pensée incongrue qu’elle avait encore son chapeau à voilette et que le mot de caryatide était bien celui qui convenait mais mes yeux étaient tellement emplis de larmes de bonheur que j’essayais seulement de figer l’instant.

 

Avec elle, il était dit que tous les instants ne dureraient pas. Elle m’a rappelé mon atelier et ses vingt ans nus dans mes cordes, elle m’ a dit que c’est ce qu’elle voulait maintenant, là…

A l’étage du dessus, je savais qu’il y avait un grenier dont le sol était recouvert de paille . Je l’ai à nouveau libérée de ma statue caryatide et nous sommes montés .

 

Là-haut, j’ai entièrement déshabillé Shiori et pendant plus d’une heure, j’ai tissé sans trève autour d’elle toutes les figures géométriques que je trouvais les plus harmonieuses, non tant par le jeu des cordes que par ce que ces cordes transformaient de Shiori, en faisant lentement d'elle le plus beau dos, les plus belles épaules, les plus beaux seins, le plus beau ventre, le plus beau sexe, les plus belles cuisses, les plus belles fesses qu’il ait jamais été donné de voir au Japon.

Et elle, elle prenait du plaisir, perdait la tête pour redevenir consciente à nouveau et alors, sans jeter un regard vers moi, elle disait « Tu m’aimes » avec sa voix d’aujourd’hui, sa voix de femme adulte.

 

Elle n’avait plus son chapeau maintenant mais quelques épingles étaient restées dans ses cheveux et elles luisaient dans la pénombre.

Elle s’est tournée vers moi, non pas ma Shiori d’autrefois, mais la stupéfiante femme que je venais de sculpter et elle m’a dit « Prends-moi, Hiroki. »

Je n’ai pas répondu.

Elle a répété comme un peu lasse « Prends-moi, Hiroki, nous l’avons toujours voulu et quelle importance cela peut avoir aujourd’hui : nous ne nous reverrons jamais. »

 

Je lui ai simplement dit « Non » mais très doucement.

J’étais Hiroki, le peintre veuf et la gloire un peu marginale du village. Mais j’avais surtout trente ans de plus qu’elle et pas envie de me damner par un regret éternel d’avoir cueilli la fleur de cerisier et ne plus jamais voir le printemps pendant les années qui me restaient à vivre. Avec ce que j’allais faire, je n’aurais en revanche, au moins pas de remords.

 

Je lui ai dit « Non » à nouveau mais j’ai rajouté « Parce que je t’aime et que je te veux pour toujours ».

Elle m’a demandé « Mais que dis-tu ? Ce n’est pas possible ! Comment ? »

Je lui ai dit de n’avoir pas peur, que j’allais la laisser seule quelques instants mais que je revenais immédiatement.

Je lui ai demandé si elle avait confiance en moi. Elle a répondu que oui.

Je lui ai dit : « Ce n’est rien et après tu seras ainsi toujours avec moi ».

 

Elle a eu comme un sourire et c’était celui, malicieux de ses vingt ans. Je pense qu’elle avait compris . D’ailleurs, elle s’est tout de suite redressée d’elle même entre ses liens pour être droite, pour être parfaite, pour être l’infinie beauté.

 

Moi, je suis descendu et dans le coffre de ma voiture, j’ai pris mes crayons et du papier.

Puis, je suis remonté auprès d’elle qui souriait vers moi maintenant de toutes ses petites dents de perles.

 

Et j’ai commencé à dessiner.