Le Ceneri Di Pasolini (1975-2015), quarante ans déjà...
Pier Paolo Pasolini (document d'archives).
Il y a quarante ans, à l’aube du 2 novembre 1975, on retrouvait sur l’Idroscalo d’Ostia, une banlieue déshéritée non loin de Rome et tout près d’une plage, le corps de Pier Paolo Pasolini, écrivain, poète (son plus fameux recueil s’intitule « Le Ceneri di Gramsci » - Les Cendres de Gramsci), dramaturge, romancier, cinéaste et journaliste, atrocement assassiné.
Sur Pasolini, sa vie, sa mort, j’ai très longuement écrit dans ce blog en 2005. Celles et ceux qui pourraient être intéressés retrouveront facilement ces posts.
Le temps a passé et il conviendrait de se demander comment la pensée de ce visionnaire peut être tellement oubliée de nos jours, son souvenir se réduisant cette semaine à quelques hommages lénifiants sur les journaux italiens, quelques émissions tout aussi creuses à la télévision du « belpaese ».
Pasolini déplorait dans l’un de ses plus beaux textes la disparition des lucioles. Je me demandais il y a une heure en regardant, dans mon bus du soir, les gens taper unanimement sans trêve sur leurs smartphones, semblables à des automates, comment il pourrait y avoir encore une place dans leurs pensées pour les réflexions de Pier Paolo Pasolini, l'intellectuel protéiforme...
En 1993, Nanni Moretti - dans la première partie de son film « Journal Intime » - nous ramenait déjà à l’Idroscalo d’Ostia sur son scooter pour y découvrir la statue de béton commémorative à demi brisée et du fer rouillé s’en élevant vers le ciel comme du sang séché.
L’an passé, Abel Ferrara a consacré un film très peu convaincant (on ne peut en retenir que la remarquable interprétation de Willem Dafoe) aux quarante-huit dernières heures de Pasolini. Il l’a, hélas, raté n’apportant rien à ceux qui connaissaient Pasolini et assoupissant ceux qui le connaissaient pas.
Et pourtant quel homme est plus moderne en cette année 2015 que cet imprécateur, homosexuel revendiqué, qui s’en prenait chaque jour tant à la droite fascisante qu’à la gauche molle qui était néanmoins « son côté » ?
Nous aurions tout intérêt, au-delà de nos interrogations sur cette tragédie (nous ne saurons jamais si son assassinat a été commandité ou s’il ne fut qu’un fait divers), à relire Pasolini.
Nous nous apercevrions en changeant quelques dates, quelques noms, quelques situations, qu'il n’avait fait que prédire le monde dans lequel il nous est donné de vivre…
Je publie ci-dessous son célèbre article de 1974 « Io so » (Je sais) pour montrer combien la plume fait que cet homme est, quarante après, toujours aussi vivant et combien il demeure notre contemporain.
Je sais.
Je sais les noms des responsables de ce que l’on appelle « Golpe » .
Je sais les noms des responsables du massacre de Milan, 1969.
Je sais les noms des responsables des massacres de Brescia et Bologna, 1974.
Je sais les noms qui composent le « sommet » qui a manœuvré aussi bien les vieux fascistes créateurs de Golpe que les néofascistes, auteurs matériels des premiers massacres.
Je sais les noms de ce qui ont organisé les deux phases différente, et même opposée, de la tension : une première phase anticommuniste et une seconde phase antifasciste.
Je sais les noms des membres du groupe de personnes importantes qui, avec l’aide de la CIA, des colonels grecs et de la mafia ont, dans un premier temps, lancé (du reste en se trompant misérablement) une croisade anticommuniste, puis toujours qui opérait avec l’aide et sous l’impulsion de la CIA, se sont reconstruit une virginité antifasciste.
Je sais les noms de ceux qui, entre deux messes, ont donné des instructions et assuré de leur protection politique de vieux généraux, de jeunes néofascistes et enfin des criminels ordinaires.
Je sais les noms des personnes sérieuses et importantes qui se trouvent derrière des personnages comiques ou derrière des personnages ternes.
Je sais les noms des personnes sérieuses et importantes qui se trouvent derrière les tragiques jeunes gens qui se sont offert comme tueurs et sicaires.
Je sais tous ces noms et je sais tous les faits, (attentats contre les institutions et massacres), dont ils se sont rendus coupables.
Je sais. Mais je n’ai pas de preuves. Ni même d’indices.
Je sais par ce que je suis un intellectuel, un écrivant, qui s’efforce de suivre tout ce qui se passe, de connaître tous ce que l’on écrit à ce propos, d’imaginer tout ce que l’on ne sait pas ou que l’on tait ; qui met en relation des faits même éloignés, qui rassemble les morceaux désorganisés et fragmentaires de toute une situation politique cohérente et qui rétablit la logique là où semblent régner l’arbitraire, la folie et le mystère.
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