Eric Elmosnino et Lucy Gordon (Serge et Jane) dans le film de Joann Sfar « Gainsbourg, Vie Héroïque » - 2009.

Eric Elmosnino et Lucy Gordon (Serge et Jane) dans le film de Joann Sfar « Gainsbourg, Vie Héroïque » - 2009 © Universal Pictures International France.

 
 
 
Bien sûr qu’il n’est pas de BDSM dans ce film.
Mais puisque le réalisateur s’y accorde - avec bonheur - la licence de réinventer « son » Gainsbourg, je ne peux que rappeler que, selon moi, il y eut chez l’artiste, provocation ou réelle inclination, de notables allusions faites à cette sexualité, notamment dans ses photographies de (voir ma note « Quand Serge photographiait Jane ») ou avec Jane Birkin (voir celle-ci, « Le Gris du Cœur)…
Alors, s’il fut un « Gainsbourg BDSM », disons que ce n’est que le mien…
 
 
 
Lorsque j’étais enceinte, j’ai - comme bien d’autres - fait écouter de la musique au bébé que je portais en moi par l’intermédiaire d’un « walkman » posé sur mon ventre.
C’était du classique, du blues et un peu de jazz.
 
Sa naissance approchant, il fallut lui faire de la place concrètement : une chambre s’avérait indispensable.
C’est mon bureau qui fut débarrassé.
N’y demeura longtemps de sa forme d’antan qu’une platine ultra-démodée que mes parents avaient confiée à ma garde des années auparavant.
Puisqu’elle était là, autant qu’elle serve à quelque chose… J’apportai deux vinyles dans la pièce. Et mon bébé passa la moitié de son temps (c'est-à-dire les ¾ puisque j’avais « fabriqué » un insomniaque comme moi) au son de « Sergent Pepper’s » et ce qu’il restait de la nuit et des heures douces à se bercer sur « L’Histoire de Melody Nelson »…
Quoi d’étonnant qu’il soit aujourd’hui de lui-même un « beatlemaniaque » et un « gainsbourgomane » ?
Je rassure tout le monde : il écoute aussi des « tubes » en vogue. Mais il a ses prédilections bien ancrées en lui.
J’y ai certes largement contribué lorsque, un peu plus grand, il me demandait, une fois le petit livre du soir terminé, « Maman, raconte-moi encore une histoire ! » et que je laissais libre cours à celle de mes idoles, lui narrant aussi bien James Dean que Marilyn, Serge et Jane que Romain (Gary) et Jean (Seberg)…
 
Aussi n’ai-je pas été autrement étonnée quand, la semaine passée, il a préféré alors que « nous faisions les soldes », à tous les pantalons « baggy » qui s’affalaient dans les vitrines avec leurs alléchantes réductions, dépenser son argent de poche au cours d’une halte au rayon « Livres d’art » de « ma » librairie pour s’offrir (39 euros, tout de même) le story-board de « Gainsbourg, vie héroïque », film dont il m’a signalé la sortie pour le mercredi suivant d’un péremptoire « le film que nous irons voir » et que j’ai feint de découvrir tout cela…
Il est bon que parfois, les « préados » pensent apprendre quelque chose à leurs parents !
 
Ce dimanche, nous voici donc dans la queue du cinéma, après avoir franchi les fourches caudines de la grand-mère (ma mère) s’exclamant « Mais tu vas vraiment lui laisser voir ça ! Tu parles d’un exemple, la vie de Gainsbourg », pique à laquelle il avait répondu « Mais je la connais déjà mieux que toi » et là, je me fends d’un calamiteux lapsus lapsuceux en demandant « Une place enfant et une place adulte pour « Gainsbourg, vie érotique » qui me vaut les rires gras de tous ceux qui attendent…
 
Je ne regretterai jamais que Préado ait vu ce film.
Au fond, quelque part, c’est bien d’un film pour enfants qu’il s’agit.
Joann Sfar, né en 71, émérite bédéiste (on lui doit entre autres la série du « Chat du Rabbin »), nous précise dès le générique du début « Gainsboug, vie héroïque, un conte de Joann Sfar » et ce n’est de rien d’autre dont il est question…
 
Je n’ai lu aucune critique avant cette séance, pas plus qu’après.
Je désire, puisqu’il s’agissait de Gainsbourg (comme s’il s’était agi de Bashung) garder ma propre impression.
Je pense qu’on peut aimer comme on peut détester ce film, que des puristes de Gainsbourg le voueront sans doute aux gémonies pour avoir inventé un peu ou beaucoup, trop insisté sur ceci, pas assez sur cela, fait un « happy end », introduit des marionnettes de films d’animation pour représenter les deux formes poursuivant Gainsbourg : « La patate », symbole de sa judéité dans le récit de son enfance et « Ma gueule », son double sardonique (qui n’est pas, non, seulement « Gainsbarre ») dès que l’on en vient à son âge adulte.
 
Et c’est vrai que « le temps de l’enfant », celui de Lucien Ginsburg, petit génie du crayon aux oreilles décollées auquel son père s’obstine à vouloir apprendre le piano - temps qui occupe un bon tiers des 2 heures 10 du film - temps qui se joue déjà sur le rythme du « nazi rock », époque oblige, est un moment de splendeur rare au cinéma.
Qu’importe qu’il n’ait pas - dans la réalité - cet enfant-là, séduit la plantureuse modèle de l’atelier ou même qu’il n’ait (peut-être ?) pas rencontré Fréhel, tout reste plausible tandis que les chemises brunes bavent leur mousse de limace sur le pays et menacent…
 
Ensuite, on entre « dans la légende »…
Une fois le petit garçon devenu un jeune homme, une fois que « Ma gueule » a conseillé à Lucien de devenir Serge (qu’Eric Elmosnino incarne avec un mimétisme époustouflant, à une dizaine de reprises dans le film, on s’y laisse vraiment prendre), que les toiles du peintre ont été brûlées, il est temps de se consacrer à « l’art mineur ».
 
Les chansons commencent à défiler.
Et les femmes. Celles qui comptèrent.
 
Une étonnante Greco, une France Gall nunuche à souhait.
Joann Sfar réussit tellement l’épisode Bardot (c’est Laeticia Casta mais peu importe: nous avons tous tellement présentes dans les pupilles les vraies images de BB que ce sont celles-ci qui s’imposent en filigrane sur l’écran) qu’il en rate peut-être un peu Jane.
Question de timing.
Autant de temps pour l’une que pour l’autre, c’était déraisonnable.
 
Ça se résume alors en :  la rencontre - le premier baiser - Je t’aime moi non plus - la naissance de Charlotte - un cliché du bonheur auprès de la chienne Nana - l’infarctus initial - le début des dérives nocturnes - une dispute - la Marseillaise Reggae et les paras - la rupture.
Même la regrettée Lucy Gordon (Jane Birkin) ne suffit pas à rattraper la vitesse de son metteur en scène.
Car c’est trop peu de temps, trop peu d’émotion pour ces deux-là, Serge et Jane, qui furent les icônes de toute une génération… My generation.
 
Et après, ça finit. Bien.
En nous évitant heureusement les trop gros clichés: le billet de 500 balles brûlé et Whitney Houston ou encore Gainsbarre chez Ardisson...
Mais avec Bambou.
Sur la naissance de Lulu et un ultime clin d’œil enfumé de tendresse et d’ironie.
 
Et on en sort en larmes parce que, oui, Gainsbourg, c’était ça mais c’était aussi le nôtre et que Joann Sfar nous a laissé monter et remonter notre film à nous durant le sien.
 
Film qu’il achève sur un panneau qui dit (à peu près, car je cite de mémoire) : « J’ai trop aimé Gainsbourg pour le rattacher à une seule réalité. Je le préfère dans ses mensonges. ».
 
Et nous, nous avons trop aimé le film de Joann Sfar pour lui reprocher les quelques inexactitudes ou anachronismes que l’on a pu y relever…
 
Gainsbourg de Joann Sfar ? Conte héroïque.